Chasses traditionnelles sur la sellette : chronique d’un imbroglio juridico-politique français et européen !
Ce combat pour notre culture rurale est loin d'être perdu. De nouveaux arrêtés ont été rédigés par le ministère de la Transition écologique, en s’appuyant sur l’expertise de la FNC et les Fédérations concernées, suite à la décision du Conseil d’État d’annuler ceux de 2020. Ces 4 projets arrêtés relatifs à la chasse aux matoles, aux pantes et aux tenderies sont en consultations publiques jusqu’au 6 octobre. Retour sur 35 ans de débats juridiques franco-bruxellois, où le politique s’est souvent invité…
1988-2018 : 30 ans de jurisprudence constante et favorable
Les chasses traditionnelles ont toujours fait l’objet de contentieux récurrents, mais depuis le 27 avril 1988, un arrêt de la Cour de justice Européenne les a confortées. Le ministère français en charge de la chasse à l’époque a pris en 1989 des arrêtés cadre précisant les conditions à respecter pour autoriser ces chasses dérogatoires à la directive européenne sur la protection des oiseaux. A l’époque, le Conseil d’État, la plus haute juridiction administrative, n’hésitait pas à consacrer du temps pour instruire les contentieux. Il a d’ailleurs systématiquement repoussé les attaques dont les chasses traditionnelles faisaient l’objet. Une dizaine d’année plus tard, la Commission européenne validait en 2008 un guide interprétatif de cette directive qui confortait notamment les possibilités de dérogations.
En 2018, la situation a évolué avec l’obligation de soumettre annuellement à l’avis du CNCFS et à la consultation publique les arrêtés fixant les quotas de captures pour les saisons de chasse. Ces nouvelles règles ont entrainé une vague de recours systématiques de la part de la Ligue de protection des oiseaux (LPO) et de One Voice contre ces arrêtés. Mais le Conseil d’État, s’appuyant sur une jurisprudence constante, rejetait ces recours en considérant que les faibles quantités d’oiseaux capturés ou prélevés respectaient les conditions de dérogation prévues dans la directive oiseaux et n’avaient pas d’impact sur les populations des espèces concernées.
Quand la Commission européenne s’en mêle…
Le gouvernement français a omis trop souvent de communiquer à la Commission européenne le bilan de l’application des dérogations françaises à la directive oiseaux. Cela s’est traduit pas une mise en demeure de la France par la Commission européenne le 25 juillet 2019 suite à une plainte déposée par la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO).
Face à cette nouvelle menace européenne, l’État français n’a toujours pas obtempéré. S’en est donc suivi un avis motivé de la Commission européenne, une année plus tard, le 2 juillet 2020, visant en particulier la capture des grives à la glu en Provence.
La ministre de l’Écologie, Barbara Pompili, tout juste nommée, s’est empressée de « retenir son stylo » pour ne pas signer à l’été 2020, l’arrêté annuel qui fixe le nombre d’oiseaux dont la capture concerne seulement 5 départements du Sud-Est de la France.
Bruxelles demande à la France qu’elle se mette en conformité avec la directive oiseaux sur la conservation des oiseaux sauvages. Si celle-ci prévoit des dérogations, les conditions strictes qu’elle fixe pour les mettre en œuvre, comme le bon état de conservation des espèces en cause, ne sont ici pas réunies d’après la Commission qui pointe aussi la contestation du caractère traditionnel de la chasse à la glu et la « souffrance » animale. Tout avis motivé peut être suivi d’une saisine de la Cour de justice de l’Union Européenne si le gouvernement ne s’y conforme pas dans un délai de trois mois. C’est ce qui s’est passé.
L’État français rattrapé par la Cour de justice Européenne
La réponse de la Cour de justice européenne, le 17 mars 2021, allait encore assombrir l’avenir des chasses traditionnelles, malgré des conclusions favorables de l’avocate générale. La Cour, dans son arrêt et contre toute attente, pratique une lecture sélective en ne prenant que ce qui l’arrange dans les conclusions de son avocate générale. Elle estime que le caractère traditionnel, voire culturel, de cette chasse à la glu « ne suffit pas en soi, à établir qu’une autre solution satisfaisante ne peut lui être substituée ». Elle considère « qu’un État membre ne peut pas autoriser une méthode de capture d’oiseaux entraînant des prises accessoires dès lors qu’elles sont susceptibles de causer aux espèces concernées des dommages autres que négligeables ». En clair, la Cour de justice estime que la prise involontaire d’autres espèces d’oiseaux et ses conséquences n’est acceptable qu’à la condition de ne causer que des dommages négligeables à ces espèces capturées accidentellement. Il est par ailleurs nécessaire de prouver qu’il n’existe pas de solution alternative satisfaisante.
Le Conseil d’État change de paradigme
L’avis de la Commission européenne, rendu public le 2 juillet 2020, et la mise en demeure de la Cour de justice de l’Union européenne le 17 mars 2021 ont fait bouger le Conseil d’État. Dans ce contexte, il a pris soin d’orienter son appréciation en suivant le principe de précaution inscrit dans le préambule de la constitution française et, à cet égard, a tendance dans ses décisions récentes en matière de chasse à préférer les moratoires de suspension à des quotas de prélèvements encadrés et limités. S’agissant des chasses traditionnelles, le Conseil d’État s’est même montré réceptif aux arguments des opposants sur le plan de la souffrance animale tandis que le ministère ne défendait pas ou peu devant le Conseil d’État les arrêtés annuels fixant les quotas de capture des chasses traditionnelles.
Chasse à la glu, un symbole politique
Conseil d’État a rendu le 28 juin 2021 sa décision dans le contentieux sur la chasse traditionnelle à la glu. Le juge français relève que les décisions ministérielles attaquées par ONE VOICE et la LPO, fixant les quotas de captures de grives selon ce mode de chasse traditionnel provençal, ne sont pas suffisamment motivées pour répondre aux exigences de la directive européenne sur la protection des oiseaux.
Le Conseil d’État sanctionne aussi l’inertie de l’Administration en relevant que, « la ministre chargée de la chasse n’a produit, dans les présentes instances, aucun élément, notamment aucune donnée scientifique suffisamment récente, de nature à établir que les prises accessoires résultant de l’emploi des gluaux dans les conditions prévues par l’arrêté du 17 août 1989 ne concerneraient qu’un faible nombre d’oiseaux et que les dommages causés aux oiseaux capturés non ciblés pourraient être regardés comme négligeables ».
L’arrêt du Conseil d’État concernant la chasse à la glu ne ferme donc pas définitivement la porte à cette chasse mais il exige davantage de motivation dans les décisions ministérielles. Si ces chasses ne sont pas considérées comme illégales, les arrêtés d’autorisation de quotas de prélèvements de 2020 sont jugés incomplets et sont annulés.
Les chasses traditionnelles dans le collimateur
Après la décision du Conseil d’État d’interdire la chasse à la glu en juin 2021, il était à craindre que ce dernier persiste et signe. En effet, le Conseil d’État a rendu, deux mois plus tard, une décision insupportable pour tous les chasseurs de France dans les contentieux sur les chasses traditionnelles (chasse de l’alouette aux pantes, à la matole dans le Sud-Ouest et tenderies ardennaises des grives, vanneaux et pluviers). Il a annulé tous les arrêtés d’autorisation de 2020. Cette décision particulièrement inique démontre un acharnement sans précédent de la plus haute juridiction administrative française contre l’ensemble des chasses traditionnelles sans le moindre fondement sérieux. L’insuffisance de motivation est encore relevée au regard des dérogations possibles dans le cadre de directive européenne « oiseaux ».
Cette décision indigne du Conseil d’État était hélas prévisible depuis l’arrivée de Barbara Pompili au ministère de la Transition écologique. A chaque étape du processus de contestation des chasses traditionnelles, le ministère a fait preuve d’une lenteur plus que coupable en refusant souvent de défendre ses propres arrêtés, laissant donc le champ libre à leur remise en cause.Willy Schraen, Président de la FNC
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